AFRIQUE : l'énergie solaire pour relever le défi de l'électrification et de la transition énergétique
Par Jean Marie Takouleu - Publié le 1 juin 2023 / Modifié le 1 juin 2023
Selon la Banque africaine de développement (BAD), 600 millions d'Africains n'ont toujours pas accès à l'électricité. Une solution évidente consiste à exploiter le potentiel du continent en énergie solaire photovoltaïque. L'Agence internationale pour les énergies renouvelables (IRENA) estime le potentiel d'énergie solaire du continent africain à 60 millions de TWh par an, contre 3 millions de TWh par an pour l'Europe, par exemple. Les pays d'Afrique septentrionale et australe sont les plus avantagés du continent. Il existe également un potentiel solaire considérable en Afrique de l'Est, dans la Corne de l'Afrique et au Sahel. L'Afrique centrale, en revanche, a un potentiel solaire moindre, en raison de son climat équatorial et de ses écosystèmes dominés par la forêt qui réduisent la pénétration des rayons solaires.
Alors que le potentiel du continent africain reste largement sous-exploité, de nombreux efforts sont déployés pour faciliter et accélérer le déploiement des installations de production d'énergie solaire en Afrique. Grâce à une politique favorable aux investissements des producteurs indépendants d'électricité (IPP), l'Afrique du Sud dispose par exemple d'une capacité solaire installée de 2 323 MWc, selon Power Africa. Avec la baisse progressive des coûts d'exploitation de l'énergie solaire, l'Irena estime que l'Afrique pourrait se doter de 70 GW de capacité solaire installée d'ici 2030, à condition que des politiques favorisant les investissements dans les énergies renouvelables soient mises en place. À l'heure actuelle, le continent dispose de 12 GW de capacité solaire installée, selon le cabinet d'analyse Rystad Energy. Cette capacité a été développée à travers une variété de solutions.
Parmi les technologies de production d'énergie solaire déployées en Afrique figure l'énergie solaire thermodynamique. Dans une centrale solaire à concentration (CSP), des miroirs captent les rayons du soleil pour générer des températures très élevées comprises entre 400 et 1000°C. La chaleur ainsi produite est utilisée pour transformer l'eau en vapeur dans une chaudière. Sous pression, la vapeur fait tourner une turbine qui entraîne un alternateur. C'est cet équipement qui produit le courant alternatif.
Il existe trois types de centrales solaires thermodynamiques dans le monde. Dans une usine de capteurs cylindriques, de longs miroirs tournent autour d'un axe horizontal pour suivre la trajectoire du soleil. Les rayons sont concentrés sur un tube dans lequel circule le fluide servant à transporter la chaleur vers la plante. Dans la technologie des auges paraboliques, les rayons du soleil sont concentrés sur le foyer des auges paraboliques orientables contenant des mini-centrales électriques. Dans la centrale électrique de la tour, un champ de miroirs orientables au sol réfléchit les rayons du soleil sur une chaudière au sommet d'une tour.
En Afrique du Sud, la centrale solaire thermodynamique de Bokpoort a une capacité de 50 MWe ©Acwa power
En raison des coûts liés à l'installation de ces technologies, très peu de projets d'énergie solaire à concentration sont actuellement mis en œuvre en Afrique. Les usines existantes ou en construction se situent principalement en Afrique du Sud et au Maroc. Dans la patrie de Nelson Mandela, l'IPP français Engie exploite les centrales Xina Solar One et Kathu, chacune d'une capacité de 100 MW. L'IPP saoudien Acwa Power exploite le CSP de Bokpoort de 50 MWe. Dans le royaume chérifien, la société saoudienne a construit plusieurs centrales de ce type au sein du complexe solaire Noor Ouarzazate de 580 MW.
Les centrales photovoltaïques sont le type de centrale électrique le plus courant, avec plusieurs panneaux solaires. Dans une telle installation, les panneaux solaires captent les rayons du soleil. Sous l'effet de la lumière solaire, le silicium, matériau conducteur contenu dans chaque cellule, libère des électrons pour créer un courant électrique continu. L'onduleur transforme ce courant continu en courant alternatif afin qu'il puisse être plus facilement transporté par les lignes moyenne tension du réseau.
Le photovoltaïque est la technologie la plus développée en Afrique, des centrales électriques à grande échelle connectées au réseau aux systèmes solaires domestiques. Cette technologie est au cœur de méga-projets d'exploitation de l'énergie solaire en Afrique. C'est le cas du complexe solaire de Benban, situé dans le gouvernorat d'Assouan en Égypte. Il s'agit d'une mosaïque de 32 centrales solaires entièrement financées et construites par des IPP. Le complexe entrera en service en 2019, avec une capacité de 1 650 MWc.
Même si les autorités marocaines accusent des retards dans sa mise en œuvre, le complexe solaire Noor Ouarzazate est l'un des grands projets solaires en cours de développement sur le continent africain, avec une capacité installée actuelle (y compris photovoltaïque et CSP) de 580 MW. Le projet s'inscrit dans le plan du gouvernement marocain de produire 52% de l'électricité consommée dans le royaume à partir de sources renouvelables d'ici 2030.
Le développement de l'énergie solaire en Afrique est également porté par des systèmes décentralisés, généralement financés et installés par des entreprises privées. Ces solutions consistent en des systèmes solaires domestiques. Ce petit réseau électrique, à l'échelle d'une maison, est composé d'un ou plusieurs panneaux solaires, d'onduleurs et de batteries pour stocker l'électricité. L'électricité propre ainsi stockée est redistribuée à la demande au réseau domestique la nuit ou par mauvais temps.
La distribution de ces équipements est facilitée par le système de prépaiement dont le principal moyen de paiement est le mobile money, un service bancaire par téléphone mobile disponible dans toute l'Afrique subsaharienne, même dans les zones les plus reculées. De plus en plus, les systèmes solaires domestiques sont accompagnés d'autres services, notamment Internet et la télévision. Ces équipements ont un réel impact sur l'électrification des zones rurales. Récemment, la société américaine d.light a rapporté que ses kits solaires avaient permis l'accès à l'électricité à 100 millions de personnes dans le monde, la plupart en Afrique. En plus des systèmes solaires domestiques, certaines entreprises fournissent des kits solaires complémentaires, comprenant des lampes et des lanternes solaires.
Un mini-réseau solaire au Nigeria © Rural Electrification Agency (REA)
Les mini-réseaux contribuent également à électrifier les zones rurales. Il s'agit de petites centrales solaires photovoltaïques avec des systèmes de stockage d'électricité utilisant des batteries ou des systèmes hybrides avec des générateurs. Ces installations sont équipées de petits réseaux de distribution capables d'alimenter une communauté ou un village. Plus tard, si nécessaire, les mini-réseaux peuvent même être connectés au réseau central. Mais en République démocratique du Congo (RDC), la société Nuru déploie déjà des mini-réseaux de plus de 1 MW pour alimenter des villes entières, comme Goma, la capitale de la province du Nord-Kivu.
Au Nigeria, pays le plus peuplé du continent (plus de 206 millions d'habitants d'ici 2020, ndlr), les autorités misent notamment sur les mini-réseaux pour mettre en œuvre un ambitieux projet d'électrification rurale (NEP) soutenu par la Banque mondiale et la BAD. Dans ce cadre, l'Agence d'électrification rurale (REA) promeut l'implantation de fournisseurs de mini-réseaux solaires en mettant en place un système de subventions basées sur la performance (PBG).
Le dynamisme constaté dans le développement de l'énergie solaire suscite des espoirs. L'Agence internationale de l'énergie (AIE) estime que la capacité solaire installée sur le continent africain pourrait atteindre 125 MW d'ici 2030. Mais le secteur fait face à un certain nombre de difficultés, notamment un manque de financement. "La faiblesse des investissements est la principale raison qui limite le déploiement de l'énergie solaire en Afrique", explique Mohamed Salah El Sobki, enseignant-chercheur en énergie à Zewail City of Science, Technology and Innovation. Selon cet ancien directeur de l'Agence égyptienne de régulation et de protection des consommateurs d'électricité (EgyptERA), la production photovoltaïque nécessite des investissements massifs.
Dans son rapport intitulé "L'énergie solaire en Afrique : un bel avenir", l'Institut Montaigne met en lumière le paradoxe du financement de l'énergie solaire par l'aide publique au développement. Selon ce groupe de réflexion basé en France, ce mode de financement fausse la concurrence et décourage les investisseurs privés de poursuivre leurs efforts.
L'Institut Montaigne propose que ces fonds publics soient affectés à la construction d'infrastructures de réseau, à la réforme des cadres réglementaires favorables à l'investissement et à la mise en place d'outils de garantie pour couvrir certains risques, notamment politiques, afin d'attirer davantage de capitaux privés. Ceci est d'autant plus vrai que la vétusté et le manque d'infrastructures de transport d'électricité font partie des freins au développement de l'énergie solaire.
A cela s'ajoute le fait que l'énergie solaire se développe à travers des projets à petite échelle. Si cette approche semble mieux adaptée à la demande locale et à la capacité du réseau, elle présente néanmoins des inconvénients, notamment en matière de financement. Après tout, "les projets sont trop petits pour supporter le coût disproportionné de la mobilisation des outils fournis par les banques de développement et alimentés par les innombrables engagements pris lors des COP successives. Il est urgent de repenser ces outils et de les adapter aux projets solaires", plaide l'Institut Montaigne.
Face à ce défi, certaines institutions de financement du développement montent leurs propres projets à l'échelle régionale et sous-régionale. C'est le cas de la Société Financière Internationale (SFI) du Groupe de la Banque Mondiale, qui prolonge son programme "Scaling Solar". Ce programme, mis en œuvre dans le monde entier, permet l'installation rapide de centrales solaires grâce à des partenariats public-privé (PPP). Scaling Solar est en cours de déploiement au Sénégal, en Côte d'Ivoire, en Éthiopie, à Madagascar, en Zambie et plus récemment au Niger.
En plus de ses investissements dans des centrales solaires à travers l'Afrique, la Banque africaine de développement (BAD) concentre ses efforts sur le Sahel, dont elle veut faire la plus grande zone de production d'énergie solaire en Afrique, à travers son initiative "Desert to Power". Le programme, qui entre maintenant dans sa phase de développement, a déjà reçu 150 millions de dollars de financement du Fonds vert pour le climat (GCF) pour sa facilité "Desert to Power G5 Sahel". La BAD vise une capacité solaire installée de 10 000 MW au Sahel, soit l'équivalent de la production électrique d'un pays comme le Maroc, qui s'élève actuellement à 10 627 MW selon l'Office national de l'eau et de l'électricité (ONEE).
Il y a quelques mois, la Banque ouest-africaine de développement (BOAD) lançait le Programme de promotion de l'investissement privé dans le secteur de l'énergie solaire (PPIPS). L'objectif est d'accélérer l'électrification solaire au sein de l'Union économique et monétaire ouest-africaine (UEMOA). Le PPIPS couvrira le Burkina Faso, le Bénin, la Guinée-Bissau, le Mali, le Niger et le Togo, créant un cadre favorable aux investissements du secteur privé dans l'énergie solaire.
Jean Marie Takouleu
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